Date : 20120808
Dossier: T-831-12
Référence : 2012 CF 975
Ottawa (Ontario), le 8 août 2012
En présence de madame la juge Tremblay-Lamer
ENTRE :
SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET
TRAVAILLEUSES DES POSTES
demandeur
et
SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeurs
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le Syndicat) présente une demande
de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions de l’arbitre des offres finales, Me Guy Dufort,
rendues les 17 et 30 avril 2012, de ne pas se récuser pour des motifs de crainte raisonnable de
partialité.
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I. EXPOSÉ DES FAITS
[2] Le 26 juin 2011, le Parlement a adopté la
Loi sur le rétablissement de la livraison du
courrier aux Canadiens
, LC 2011 c 17 (Loi spéciale) en raison du conflit de travail qui existait entre
la Société canadienne des postes (Postes Canada) et le Syndicat. En plus d’ordonner un retour au
travail, cette loi proroge la convention collective jusqu'à ce qu’une nouvelle convention collective
prenne effet.
[3] Elle impose également la nomination d’un arbitre qui aura à choisir entre l’offre finale de
Postes Canada ou celle du Syndicat et cette offre finale deviendra la convention collective jusqu’au
31 décembre 2015. La décision de l’arbitre sera protégée par une clause privative absolue.
[4] Le 22 juillet 2011, la ministre du Travail, l’honorable Lisa Raitt (la ministre) a nommé
l’honorable Coulter A. Osborne à titre d’arbitre. Le Syndicat a demandé à la Cour fédérale
d’annuler sa nomination du fait que l’arbitre Osborne n’était pas bilingue et qu’il n’avait pas
d’expérience dans le domaine des relations de travail. Le 20 octobre 2011, le Syndicat a obtenu un
sursis en attendant que la Cour fédérale tranche la demande de contrôle judiciaire. Le 1er novembre
2011, l’arbitre Osborne a démissionné de son poste.
[5] Le 24 janvier 2012, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé
la nomination de l’arbitre Osborne. La Cour a ordonné à la ministre de « s’assurer que la personne
choisie possède notamment une certaine expérience reconnue en relations du travail et est
bilingue ».
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[6] En novembre 2011, un représentant de Ressources humaines et développement des
compétences Canada [RHDCC] a demandé aux parties de leur remettre une liste de candidats afin
de nommer un nouvel arbitre. Le Syndicat a consulté ses conseillers juridiques, dont Me Nadeau,
lesquels ont recommandé certaines personnes, incluant Me Guy Dufort. Cette liste a été approuvée
par le Conseil exécutif national du Syndicat et a été envoyée à RHDCC le 18 novembre 2011.
Néanmoins, Me Nadeau n’aurait pas informé le Syndicat que Me Dufort avait représenté Postes
Canada pendant plusieurs années et qu’il avait été un membre influent au sein du Parti conservateur
du Canada (Parti conservateur). La preuve devant la Cour ne permet pas de conclure que Me
Nadeau était au courant de ces informations.
[7] Le 13 mars 2012, la ministre a nommé Me Dufort comme nouvel arbitre. La journée
suivante, l’arbitre Dufort a contacté les parties afin de fixer une date pour une conférence
préparatoire. Cette même journée, l’arbitre Dufort a également transmis son curriculum vitae aux
parties et a souligné qu’il avait agi en tant que procureur pour Postes Canada dans le dossier
d’équité salariale et qu’il avait également été actif au sein du Parti conservateur. L’arbitre Dufort a
demandé aux parties de le contacter si cette information était problématique.
[8] L’historique des faits établit qu’en 1992, un important litige en matière d’équité salariale
(dossier d’équité salariale) a été entamé devant le Tribunal canadien des droits de la personne
(Tribunal) entre l’Alliance de la fonction publique du Canada [AFPC] et Postes Canada. L’affaire a
été portée en appel devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale et s’est terminée en
novembre 2011 lorsque la Cour suprême du Canada a accueilli l’appel de l’AFPC.
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[9] L’arbitre Dufort a été associé au sein du cabinet juridique Heenan Blaikie jusqu’en 2009. Ce
cabinet avait représenté Postes Canada dans le dossier d’équité salariale et l’arbitre Dufort a été
membre de l’équipe de procureurs de 1998 à 2003 qui a représenté Postes Canada dans ce litige
auprès du Tribunal.
[10] Quant à ses activités politiques, l’arbitre Dufort a été président de l’aile québécoise du Parti
progressiste conservateur de 1994 à 1999, président de l’assemblée extraordinaire du Parti
progressiste-conservateur qui a mené à la constitution du Parti conservateur du Canada en 2003,
candidat conservateur pour un poste de député fédéral à trois reprises et membre du Comité national
des politiques de 2006 à 2010. L’arbitre a dit qu’il a cessé toute implication politique en janvier
2010.
[11] Le 15 mars 2012, les procureurs du Syndicat ont demandé par courriel à l’arbitre Dufort de
se récuser. Le 27 mars 2012, l’arbitre Dufort a tenu une audience afin de disposer de la demande de
récusation du Syndicat. Le 17 avril 2012, l’arbitre Dufort a rendu sa décision et a refusé de se
récuser.
[12] Une conférence préparatoire s’est déroulée le 30 avril 2012 durant laquelle le procureur du
demandeur a de nouveau demandé à l’arbitre de se récuser en raison de nouvelles informations. La
première était une page Facebook au nom de l’arbitre dans laquelle on retrouvait sous la rubrique
« activités et intérêts » des liens à l’Association conservatrice de Westmount Ville-Marie et à la
page de Mme Michelle Rempel, députée conservatrice de Calgary. Cette page contenait également
une liste d’« amis », dont la ministre Raitt
, chargée de procéder à la nomination de l’arbitre, ainsi
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que le ministre Steven Fletcher, ministre responsable pour Postes Canada. En mai 2012, l’arbitre
Dufort a enlevé ces liens de sa page Facebook.
[13] Lors de cette conférence, le Syndicat a également présenté le « Rapport financier du
troisième trimestre de 2011 » de Postes Canada qui indiquait que la diminution au troisième
trimestre de 2011 est principalement attribuable à la décision relative à l’équité salariale.
[14] Le 11 mai 2012, le juge Lemieux de la Cour fédérale a ordonné la suspension de l’arbitrage
jusqu’à ce qu’une décision sur ce présent contrôle judiciaire soit rendue.
II. DÉCISIONS DE L’ARBITRE DUFORT
[15] Dans sa décision écrite, l’arbitre a énoncé son interprétation des principes applicables en
matière de récusation en invoquant l’arrêt
Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45,
[2003] 2 RCS 259 [
Wewaykum]. Il a notamment indiqué que le fardeau de prouver une crainte
raisonnable de partialité revient au demandeur.
[16] L’arbitre Dufort a procédé à l’analyse des deux motifs invoqués pour soutenir la demande
de récusation. En premier lieu, l’arbitre a analysé la question de son rôle dans le dossier d’équité
salariale. Il a soutenu qu’une période de neuf ans s’est écoulée depuis la fin de ce mandat et qu’il
s’agit d’une « période de temps appréciable ». Comme l’affirme la Cour suprême du Canada, dans
Wewaykum
, l’écoulement du temps est un facteur important à considérer dans ce type de demande
et que, plus il s’est écoulé de temps, plus difficile sera-t-il d’alléguer une crainte raisonnable de
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partialité. Vu cette période de temps appréciable, il ne croit pas que cela susciterait chez la personne
raisonnable une crainte de partialité.
[17] L’arbitre a également soutenu que le présent litige n’est pas de la même nature que le
dossier d’équité salariale et ne participe ni des mêmes faits ni n’implique les mêmes parties. De
plus, la question d’équité salariale ne fait pas l’objet de négociations dans le présent litige
. Il a donc
conclu qu’il n’y avait pas de cause de récusation pour ce motif.
[18] L’arbitre a également rejeté le deuxième motif qu’il existe une crainte raisonnable de
partialité du fait de son implication politique au sein du Parti conservateur. Les vagues soupçons
quant à sa participation dans l’élaboration des politiques sur le droit de grève n’étaient que
spéculation. De plus, son implication ne devrait pas être prise en compte du fait qu’il aurait cessé
toute activité partisane depuis janvier 2010 et qu’il n’a pas fait de déclaration publique à l’égard de
la Loi spéciale. Finalement, il croit qu’il n’existe pas de preuves suffisamment sérieuses par rapport
à son implication politique et de ses conséquences sur le présent arbitrage pour soulever une
appréhension de partialité.
III. QUESTIONS
[19] La présente demande soulève deux questions en litige :
1) Quelle est la norme de contrôle applicable ?
2) L’arbitre a-t-il erré en refusant les demandes de récusation du demandeur ?
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IV. NORME DE CONTRÔLE
[20] Conformément à la jurisprudence établie, la Cour convient que la crainte raisonnable de
partialité soulève une question d’équité procédurale et que la norme de contrôle est donc celle de la
décision correcte. Selon la Cour d’appel fédérale : « [u]ne cour de révision applique la norme de la
décision correcte lorsqu'elle doit décider si, en rendant sa décision, un tribunal administratif a
manqué à l'obligation d'agir équitablement en matière de procédure, y compris l'obligation d'être
impartial. » (
Geza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124,
[2006] 4 RCF 377, au para 44). Voir également
Gonzales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et
de l’Immigration)
, 2012 CF 231, [2012] FCJ No261, au para 23).
[21] Tel que prononcé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt
Dunsmuir c Nouveau-
Brunswick
, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 50, « [l]a cour de révision qui applique la
norme de la décision correcte n'acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa
propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d'accord ou non avec la conclusion du
décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s'impose.
La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la
bonne. »
V. PRINCIPES APPLICABLES
[22] Les principes qui doivent guider la Cour sont bien connus. Ils ont été repris maintes fois et il
suffit de les résumer ainsi :
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•
Notre système juridique repose sur la présomption de l’impartialité des juges, une
qualité essentielle qui est « l'attribut central de la fonction judiciaire ». L’impartialité
est la notion qu’un juge doit « aborder avec un esprit ouvert l’affaire qu’il doit
trancher » (
Wewaykum, aux paras 58- 59 ; R c S (RD), [1997] 3 RCS 484, au para 93
[
R c S (RD)]).
•
Lorsqu’une partie allègue une crainte de partialité, ces allégations ne doivent pas être
prises à la légère, et doivent reposer sur des motifs sérieux, car elle sème le doute
quant à cette notion fondamentale de l’impartialité des décideurs dans notre système
juridique (
R c S (RD), au para 113).
•
La partie qui allègue la crainte raisonnable de partialité a donc le fardeau de
renverser cette forte présomption et de démontrer qu’il existe des motifs suffisants
afin de conclure qu’un décideur doit être récusé (
Wewaykum, au para 59).
•
Les arbitres jouissent également d’une présomption d’impartialité (West Region
Child and Family Services Inc c North
, 2008 CF 85, [2008] ACF no 99, au para 14).
•
Il faut noter qu’une partialité dans les faits est bien différente d’une crainte
raisonnable de partialité. Ce deuxième concept est davantage préoccupé par l’image
de la justice. L’objectif n’est pas de déterminer si un juge est impartial, mais plutôt si
une personne raisonnable le percevrait de cette façon. Il est ainsi, car « la confiance
du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction
fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement
toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus
comme agissant de la sorte » (
Wewaykum, au para 57, voir aussi R c S (RD), au para
92).
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9
•
Une crainte raisonnable de partialité existe lorsqu’il y a des motifs pour conclure que
le décideur serait prédisposé à « privilégier une partie plutôt qu'une autre ou un
résultat particulier » (
Wewaykum, au para 58). Le critère à appliquer a été énoncé
dans l’affaire
Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de
l’énergie),
[1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice and Liberty], et a été repris
dans l’affaire
Wewaykum au para 60: « à quelle conclusion en arriverait une
personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste
et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment
ou non, ne rendra pas une décision juste? ».
•
La personne raisonnable n’est pas « scrupuleuse ou tatillonne » (Wewaykum, au para
76).
•
Cette analyse dépend du contexte et des faits dans chaque dossier et qu’il n’existe
pas de formule classique ou test préconçu applicable pour l’analyse (
Wewaykum, au
para 77 ;
R c S (RD), au para 136).
•
Il est possible que dans un bon nombre de cas que des juges se soient récusés dans
des affaires quand « à proprement parler, ils n'étaient pas légalement tenus de le
faire » afin de respecter la norme de la crainte raisonnable de partialité (
Wewaykum,
au para 78).
[23] Bref, la question que la Cour doit donc répondre est la suivante : Est-ce qu’une personne
sensée, raisonnable et bien renseignée estimerait que l’arbitre Dufort, de façon consciente ou non,
pourrait être influencé d'une manière inappropriée en raison de son rôle en tant que procureur pour
Postes Canada ou de sa participation au sein du Parti conservateur ?
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Contexte des relations de travail et de l’arbitrage des offres finales
[24] Avant d’aborder les deux motifs allégués de récusation, il est important de noter le contexte
dans lequel ces demandes ont été faites.
[25] La Cour suprême du Canada dans
Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c
Ontario (Ministre du Travail)
, 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539 [Syndicat canadien de la fonction
publique
] a fait le point au sujet de la nature de l’arbitrage en relations de travail et a noté au
paragraphe 53 :
Il faut faire la distinction entre les « arbitrages de griefs », où les
arbitres doivent interpréter une convention collective déjà conclue, et
les « arbitrages de différends », où les arbitres fixent les conditions
de la convention collective elle-même. La première forme
d’arbitrage est de nature décisionnelle alors que la seconde est de
nature plus ou moins législative.
[26] Et au paragraphe 109:
L'arbitrage en matière de relations du travail en tant que mécanisme
de règlement des différends repose traditionnellement et
fonctionnellement sur le consentement, l'arbitre étant choisi par les
parties ou étant acceptable par chacune d'elles. L'intervenante, la
National Academy of Arbitrators (Canadian Region), a fait valoir
que...
Si l'arbitre est l'agent de l'une ou l'autre partie ou du gouvernement
ou s'il est perçu comme tel, ou encore s'il est désigné pour servir les
intérêts de l'une ou l'autre partie ou du gouvernement, le système
s'aliène la confiance des parties qui est essentielle à la paix et à la
stabilité des relations du travail [...] L'absence de confiance dans
l'arbitrage entraînerait des conflits de travail et l'interruption des
services, lesquels représentent le problème même que l'arbitrage
impartial des différends vise à prévenir. [mon soulignement]
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[27] Dans le litige portant sur la récusation du premier arbitre Osborne, le juge Martineau a cité
ces propos de la Cour suprême et y a ajouté que : « [l]es principes généraux énoncés plus haut par la
Cour suprême du Canada s'appliquent avec autant de force dans le cas d'un arbitrage d'offres finales
en vertu de la Loi spéciale. » (
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c Société
canadienne des postes,
2012 CF 110, [2012] ACF no 199, au para 38 [Syndicat des travailleurs et
travailleuses des postes
]).
[28] En effet, le présent contexte est bien différent de celui de
Wewaykum car dans cette affaire la
décision en question avait été décidée de façon collégiale par la Cour suprême du Canada. En
l’espèce, l’arbitre désigné devra choisir entre la position de Postes Canada et celle du Syndicat et
aucun compromis ne pourra être fait entre les deux. De plus, cette décision sera protégée par une
clause privative absolue et l’offre choisie deviendra la convention collective jusqu’au 31 décembre
2015. Il est donc essentiel que ce choix soit perçu comme étant fait de façon impartiale sans quoi le
climat de relations de travail entre les parties en souffrira.
[29] Le juge Martineau a également noté au sujet du type d’arbitrage applicable en l’espèce aux
paragraphes 39 et 40 :
Précisons que dans un arbitrage de différend traditionnel, les
possibilités de compromis ne sont pas éliminées et l'équité n'est pas
totalement exclue. Par contre, l'arbitrage d'offres finales débouche
sur l'unilatéralisme législatif. Par l'effet de la Loi spéciale, on a
affaire à un conflit de travail judiciarisé où le jeu des rapports
habituels de force ne balise plus les offres finales que feront les deux
protagonistes. C'est le vainqueur désigné par l'arbitre des offres
finales, qui dictera au perdant, pour les trois prochaines années (et
peut-être de façon rétroactive), les conditions de travail des
travailleurs et des travailleuses des postes, et les limites, s'il en est,
aux droits de gérance de l'employeur (paragraphe 11(4) et article 14
de la Loi spéciale). Le poids des responsabilités est donc énorme; il
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s'agit d'un exercice de haute voltige, sans doute plus politique que
juridique, car c'est de légitimité dont on parle ici et non de légalité.
À terme, il reviendra à l'arbitre des offres finales de convaincre le
perdant, dans sa décision exécutoire immédiatement, qu'après tout,
l'offre finale du vainqueur est la plus raisonnable, compte tenu des
limites et des critères qui lui on été dictés par le Parlement, ici
l'article 11 de la Loi spéciale, déterminisme politique oblige. Il sera
donc facile de faire de l'arbitre des offres finales un bouc émissaire.
La rhétorique du milieu des relations de travail associera
invariablement le vainqueur à son messager. Cela ne peut être que
néfaste pour l'entreprise et les travailleurs et travailleuses, ainsi que le
gouvernement lui-même. En l'espèce, si dès le départ, la candidature
de l'arbitre pose problème ou n'est pas acceptable pour le perdant,
c'est toute la confiance dans ce système extraordinaire de
détermination des conditions de travail, qui s'en trouvera ébranlée.
Prudence oblige si l'on désire éviter la création d'un climat de
relations de travail pourri pour les années à venir. [mon
soulignement]
[30] Il est donc évident que l’arbitre devait et maintenant la Cour doit tenir compte de ce contexte
particulier en analysant l’allégation de crainte raisonnable de partialité.
VI. LA POSITION DES PARTIES
A. La position du Syndicat
[31] Le Syndicat invoque deux motifs de récusation de l’arbitre Dufort, soit son rôle comme
procureur pour Postes Canada dans le litige concernant l’équité salariale ainsi que son implication
au sein du Parti conservateur. Ces deux éléments font naître une crainte raisonnable de partialité
chez la personne sensée et raisonnable.
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[32] D’ailleurs, le fait que l’arbitre lui-même ait soulevé ces deux informations auprès des parties
en leur demandant de le contacter si cela posait problème est une preuve que l’arbitre lui-même
croyait qu’elles étaient susceptibles de soulever une crainte raisonnable de partialité. La personne
bien renseignée connaît les faits suivants :
Rôle comme procureur pour Postes Canada
[33] La période qui s’est écoulée depuis la fin du mandat de Me Dufort, soit neuf ans, est
beaucoup plus courte que la période de 15 ans qui s’était écoulée pour le juge Binnie dans l’affaire
Wewaykum
.
[34] De plus, cet écoulement doit être considéré dans la perspective de la continuité du litige
jusqu’en Cour suprême du Canada en 2011. Lors de son mandat, l’arbitre a travaillé avec Me Robert
Grant, qui a représenté Postes Canada dans l’appel de ce dossier jusqu’en Cour suprême
. À titre
d’associé principal du cabinet Heenan Blaikie jusqu’en 2009 avec résidence à Ottawa depuis 1999,
l’arbitre a été placé dans une situation où la personne raisonnable et sensée ayant étudié la question
de façon sérieuse est justifiée de croire qu’il a pu être directement ou indirectement consulté par
d’autres associés du même cabinet qui ont continué d’occuper dans le présent dossier jusqu’en
2011.
[35] Pour le Syndicat, il est important de considérer l’écoulement du temps à la lumière des
effets financiers contemporains du dossier d’équité salariale. En effet, tel que mentionné dans le
Rapport du troisième trimestre de 2011 de Postes Canada, une des principales raisons pour les
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pertes financières, les premières pertes de la Société depuis 16 ans, est le dossier d’équité salariale.
Il est raisonnable de croire que cette réalité financière pourrait influencer l’arbitre dans son analyse.
[36] Il est également raisonnable de croire qu’en tant qu’associé, il a profité des retombées
financières de ce dossier. Selon le procureur de Postes Canada, l’arbitre Dufort a également reçu un
mandat limité de Postes Canada en matière de santé et sécurité en 2003 et potentiellement d’autres
dossiers jusqu’en 2006.
[37] Le rôle de l’arbitre Dufort peut être distingué de celui du juge Binnie en raison de
l’importance et l’envergure de son rôle dans ce dossier. En effet, la participation de Me Dufort quant
au dossier d’équité salariale de Postes Canada est beaucoup plus importante que le « rôle limité
d’administration et de supervision » dans le dossier du juge Binnie lorsqu’il était sous-ministre
adjoint au Ministère de la Justice et supervisait des milliers de dossiers.
[38] L’arbitre Dufort fut l’un des maîtres d’oeuvre dans ce dossier, à titre de membre de l’équipe
des procureurs devant le Tribunal ainsi qu’à titre d’associé principal du cabinet Heenan Blaikie.
[39] Une personne raisonnable aurait tout lieu de croire que l’écoulement du temps soit neuf ans,
n’aura pas eu l’effet d’atténuation que l’arbitre lui attribue.
[40] Le Syndicat soutient qu’il est inexact de ne voir aucune parenté entre le dossier d’équité
salariale et le présent litige. Le dossier d’équité salariale portait principalement sur le dépôt
d’expertise qui cherchait l’établissement d’une réparation à la discrimination et qui exigeait que le
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Tribunal fasse une recherche quasi législative du niveau de rémunération convenable à une
catégorie d’employés. Le travail de l’arbitre est semblable, car il devra, de manière quasi législative,
établir les conditions de travail.
[41] D’ailleurs, dans le dossier d’équité salariale, les experts ont eu à examiner des conventions
collectives et évaluer les emplois chez Postes Canada au niveau de la rémunération et autres
avantages sociaux. Finalement, l’égalité de traitement est également en cause en l’espèce du fait que
Postes Canada voulait établir différentes conditions de travail entre les catégories d’employés selon
leur date d’embauche.
[42] Le fait que le litige n’implique pas les mêmes deux parties n’est pas déterminant, car
l’apparence d’impartialité n’exige pas que le décideur soit devant les mêmes deux parties. Au
contraire, il croit qu’il est suffisant que l’arbitre ait représenté Postes Canada dans un litige très
important et qu’elle est maintenant devant lui pour un dossier comparable.
[43] De plus, contrairement au juge Binnie dans
Wewaykum, l’arbitre agit à titre d’arbitre unique
et non comme membre d’un panel comme était le cas avec le juge Binnie et qu’en plus, l’arbitre
devra choisir entre les offres finales de Postes Canada et du Syndicat. Aucun compromis ne peut
être fait et cette décision est protégée par une clause privative absolue.
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Implication au sein du Parti conservateur
[44] Pour le Syndicat, la personne bien informée qui connaîtrait les activités partisanes de
l’arbitre aurait une crainte raisonnable de partialité.
[45] Le délai de deux ans depuis la cessation de ses activités partisanes ne peut pas être considéré
comme un délai raisonnable au sens de la jurisprudence.
[46] De plus, la page Facebook de l’arbitre contenait jusqu’à tout récemment des liens sous la
rubrique « activités et intérêts » à deux associations conservatrices et il avait comme « amis » les
ministres Raitt et Fletcher. Ces liens ont été ajoutés en juillet et novembre 2010, bien après la date à
laquelle l’arbitre indique avoir mis fin à ses activités partisanes.
[47] Quoique le Syndicat ne connaisse pas le rôle exact de l’arbitre dans l’élaboration des
orientations politiques du Parti conservateur, le fait que l’arbitre n’a pas précisé son rôle au sein de
ce comité national des politiques ajoute à la crainte raisonnable de partialité. Il en est de même avec
les divers liens retrouvés sur sa page Facebook. Il aurait eu l’occasion de rassurer le Syndicat au
sujet de ces activités, mais il a choisi de ne pas le faire.
[48] La Loi spéciale a été sanctionnée par le Parlement canadien, dont le gouvernement
majoritaire est formé par le Parti conservateur. De plus, le gouvernement est l’unique actionnaire de
Postes Canada et veille donc à sa rentabilité.
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[49] La
Loi sur la Société canadienne des postes, LRC 1985, c C-10, démontre également les
liens entre le gouvernement et Postes Canada. D’ailleurs, selon les articles 6 et 7 de cette Loi, les
administrateurs du conseil d’administration sont nommés à titre amovible par le ministre, avec
l’approbation du gouverneur en conseil. De plus, il est prévu à l’article 22, que dans l’exercice de
ses pouvoirs et fonctions, Postes Canada est tenue de se conformer aux instructions du ministre.
[50] Une personne raisonnable bien renseignée et non tatillonne peut croire que les relations
personnelles et professionnelles de longue date de l’arbitre Dufort avec les représentants du Parti
conservateur et avec les représentants de Postes Canada ne s’éteignent pas automatiquement dès la
fin des activités professionnelles formelles. Il est également raisonnable de croire que l’arbitre
côtoie toujours des personnes influentes du Parti et des dirigeants actuels du gouvernement fédéral
et qu’il pourrait être influencé, même à son insu.
[51] Le Syndicat soutient donc que dans le contexte de la Loi spéciale, l’arbitre nommé ne peut
pas avoir été le procureur de Postes Canada et associé au Parti conservateur sans susciter une crainte
raisonnable de partialité.
B. La position de Postes Canada
[52] Postes Canada soutient que le travail de l’arbitre Dufort, en tant qu’avocat dans le dossier
d’équité salariale et comme ancien membre actif du Parti conservateur, n’est pas suffisant pour
soutenir une crainte raisonnable de partialité.
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[53] La Cour d’appel de l’Ontario a repris le critère de crainte de partialité dans l’affaire
Ontario
(Commissioner, Provincial Police) v MacDonald
, 2009 ONCA 805, 3 Admin LR (5th) 278, au para
42 :
« 1) la personne qui considère la question de la partialité alléguée doit être raisonnable et qui
prend les renseignements nécessaires et 2) la crainte même doit aussi être raisonnable dans les
circonstances propres du dossier.
»
[54] Selon Postes Canada, de simples spéculations, hypothèses ou croyances personnelles ne
suffiront pas pour rencontrer la norme élevée (
Committee for Justice and Liberty, à la page 395 ; R c
S (RD)
, aux paras 112 et 113). Il s’agit de la même norme lorsque c’est le décideur lui-même qui
divulgue les informations à la base de la crainte (
Children’s Aid Society of the Regional
Municipality of Waterloo
v L-AB, 2004 ONCJ 235, 134 ACWS (3d) 645, au para 28, confirmée
[2005] OJ No 2315, 139 ACWS (3d) 881 (CS Ont)).
Rôle comme procureur pour Postes Canada
[55] Postes Canada note au départ l’admission du Syndicat à l’effet que les antécédents
professionnels de l’arbitre en tant qu’avocat patronal chez Heenan Blaikie n’étaient pas
problématiques.
[56] Selon le Conseil canadien de la magistrature, dans les
Principes de déontologie judiciaire,
l’on suggère un délai d’au plus de cinq ans comme une période suffisante de « distanciation » pour
un juge par rapport à d’anciens collègues, associés ou clients du juge. Il existe un recul temporel de
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neuf ans dans le dossier d’équité salariale, ce qui est donc une période considérable et plus que
raisonnable.
[57] Ces principes déontologiques ont été cités avec approbation dans l’affaire
Syndicat des cols
bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c Pointe-Claire (Ville de)
, 2011 QCCA 1000,
[2011] JQ no 6327 [
Syndicat des cols bleus]. Dans cette affaire, l’avocat de la ville croyait qu’il y
avait crainte raisonnable de partialité car un membre de son cabinet juridique avait déposé une
requête en déclaration d’inhabilité contre l’arbitre, 12 ans auparavant, et l’avocat de la ville croyait
que l’arbitre avait toujours des préjugés contre tous les avocats de ce cabinet. La majorité de la Cour
d’appel du Québec a trouvé qu’il n’existait pas de crainte raisonnable de partialité en raison de
l’écoulement de temps depuis la requête ainsi que le fait que d’autres avocats du même cabinet
avaient plaidé devant l’arbitre sans problème.
[58] De plus, dans l’affaire
Kowallsky c Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF
183, 168 ACWS (3d) 672 [
Kowallsky], la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument de la
demanderesse à l’effet qu’il y avait crainte raisonnable de partialité du fait que le décideur à la
Commission avait été employé de l’Alliance de la fonction publique du Canada huit ans auparavant
et que l’Alliance était une partie dans les procédures.
[59] Postes Canada soutient également qu’il s’agit de dossiers complètement différents. Le
dossier d’équité salariale devant le Tribunal avait pour seul but l’analyse de l’écart de salaires entre
les hommes et les femmes pour les employés représentés par un autre syndicat. Dans la présente
affaire, l’arbitre devra choisir une offre finale d’une des parties en se basant uniquement sur les
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critères retrouvés dans la Loi spéciale. De plus, ces offres finales couvriront une multitude de sujets
touchant un Syndicat différent de celui dans le présent litige. Ces offres finales ne toucheront pas les
augmentations de salaires pour les employés car ces augmentations ont déjà été définies dans la Loi.
[60] Le fait que l’arbitre ait profité ou non des retombées du dossier d’équité salariale dans les
années suivant son implication n’est pas pertinent et impliquerait la disqualification de tout ancien
associé d’un cabinet d’avocats d’agir dans tout dossier impliquant des parties représentées par ce
même cabinet à un moment donné.
Implication au sein du Parti conservateur
[61] Les activités politiques de l’arbitre ont cessé en 2010. Il s’agit de pure spéculation de
prétendre que l’arbitre côtoie des dirigeants actuels du gouvernement fédéral et même si c’était le
cas, cela n’aurait aucune incidence sur le présent arbitrage.
[62] Postes Canada argue qu’il est ni inusité ni surprenant qu’un juge ou arbitre ait participé dans
un parti politique dans le passé et la jurisprudence confirme que cette participation n’équivaut pas à
la partialité.
[63] Dans l’affaire
Nation et Bande des indiens Samson c Canada, [1998] 3 CF 3, 141 FTR 109
(FCTD), aux paras 64 à 68 [
Nation et Bande des indiens Samson], le juge Teitelbaum a refusé de
trouver qu’il existait une crainte raisonnable de partialité en raison de sa participation politique
antérieure.
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[64] Dans l’affaire
Muscillo Transport Ltd v Ontario (Licence Suspension Appeal Board), 149
DLR (4th) 545, [1997] OJ No 3062, la Cour supérieure de l’Ontario avait décidé qu’une membre
du
Licence Suspension Appeal Board n’était pas biaisée du fait qu’elle avait été la secrétaire de
l’association conservatrice et que le ministre conservateur avait fait des commentaires négatifs au
sujet du demandeur avant l’audience devant le Tribunal.
[65] La personne raisonnable et bien informée reconnaît que l’ont doit distinguer entre le Parti
conservateur, le gouvernement, les députés et ministres conservateurs et Postes Canada. Cette
dernière est mandataire de la couronne, mais opère indépendamment et à distance du gouvernement
selon la
Loi sur la Société canadienne des postes.
[66] Finalement, les liens sur la page Facebook de l’arbitre ne sont pas une preuve suffisante
pour soutenir une crainte raisonnable de partialité (
Latronico c York Region District School Board,
2012 HRTO 637 (Wright)). Ces liens ne font pas preuve d’amitié personnelle et ne démontre pas
l’intensité de la connaissance de deux individus. De même, les liens aux associations
professionnelles ou politiques ne démontrent aucunement une participation active.
[67] Postes Canada soutient que les agissements du Syndicat et leur demande de récusation sont
incompatibles car il est difficile de comprendre pourquoi le Syndicat n’a pas effectué des
vérifications indépendantes au sujet de l’arbitre Dufort alors qu’il avait le temps et les ressources
nécessaires et étant donné l’importance que revête l’arbitrage des offres finales pour elle.
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[68] Postes Canada souligne que le Syndicat a fait preuve d’un manque de diligence ou même
d’aveuglement volontaire et le Syndicat est maintenant forclos de plaider sa propre turpitude
(
Fecteau c Gareau, 121 ACWS (3d) 530,[2003] JQ no 39 (CAQ)).
C. La position du procureur général du Canada
[69] Les deux motifs de récusation invoqués par le Syndicat pris isolément ou par leur effet
combiné ne sont pas de nature à susciter, chez une personne raisonnable et bien renseignée, une
crainte raisonnable de partialité.
[70] Me Nadeau, lequel travaille pour le Syndicat depuis le début des années 1970 à titre de
conseiller au niveau national, est celui qui a suggéré le nom de l’arbitre Dufort au Syndicat ; or il
n’a pas témoigné durant la requête de récusation. Il n’est donc pas possible de savoir si Me Nadeau
était au courant des antécédents de l’arbitre Dufort avec Postes Canada et s’il avait néanmoins
décidé de soumettre le nom de Me Dufort au Syndicat. La preuve démontre cependant que Me
Nadeau était d’avis que même si l’arbitre Dufort avait été avocat patronal, qu’il pouvait faire un
travail honnête.
[71] De plus, il aurait été utile pour le Syndicat d’effectuer ces recherches poussées au sujet de
l’arbitre Dufort avant de l’avoir suggéré comme candidat et il aurait facilement pu apprendre que
l’arbitre avait travaillé pour Postes Canada, car cette information est publique. D’ailleurs, les
membres du Syndicat ont indiqué qu’ils étaient au courant que l’arbitre avait travaillé chez Heenan
Blaikie, un cabinet qui avait représenté Postes Canada dans plusieurs dossiers.
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[72] Le procureur général du Canada rappelle que dans l’affaire
Committee for Justice and
Liberty
, aux paras 76 à 78, la Cour suprême du Canada a fait trois remarques préliminaires fort
pertinentes pour l’exercice auquel est invitée cette Cour par le Syndicat:
•
Premièrement, une crainte doit être fondée sur des motifs sérieux et l’analyse doit
être faite du point de vue d’une personne raisonnable et qui n’est pas de nature
scrupuleuse ou tatillonne, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les
tribunaux.
•
Deuxièmement, il n’a pas d’exemple classique de crainte raisonnable de partialité,
car cette analyse dépend énormément des faits eu égard le contexte.
•
Troisièmement, il est fort possible, dans un grand nombre d’affaires dans lesquelles
les juges se sont récusés, que ce résultat était en raison de la prudence des juges et
non parce qu’ils étaient légalement tenus de le faire.
Rôle comme procureur pour Postes Canada
[73] Le procureur général du Canada souligne que dans le dossier d’équité salariale, la principale
question touchait les disparités de salaires entre hommes et femmes. Dans le présent dossier,
l’arbitre n’aura pas à déterminer les salaires et la seule différence de traitement sera fondée sur la
date d’embauche des divers employés.
[74] Il en est de même pour le mandat limité que l’arbitre a reçu de Postes Canada en 2003.
L’arbitre a observé qu’il aurait pu avoir fait d’autre travail pour Postes Canada jusqu’en 2006, mais
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si c’était le cas, il ne s’en souvenait pas. La Cour suprême du Canada dans
Wewaykum a déjà
indiqué que l’absence de souvenir était un facteur pertinent et soutenait une absence de crainte
raisonnable de partialité (au para 90).
[75] Bref, l’écoulement du temps et la différence de deux mandats font donc en sorte qu’il n’y a
pas de crainte raisonnable de partialité (
Syndicat des cols bleus).
[76] Dans l’affaire
Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CF 533, 311 FTR 157
[
Khawaja], on a demandé au juge Mosley de se récuser au motif qu'il avait participé à l'élaboration
du projet de loi C-36 cinq ans auparavant et qu’il devait appliquer cette loi dans l’affaire devant lui.
Le juge a conclu que la nature de son rôle de coordination du projet de loi C-36 n’incluait pas de
rédaction, que le droit avait évolué depuis l’élaboration de la loi et les commentaires que le juge
Mosley avait fait à cette époque étaient seulement informatifs. Le juge a également consulté les
Principes de déontologie judiciaire
et a conclu que le délai et la nature de son travail antérieur
n’étaient pas suffisants pour soutenir une crainte raisonnable de partialité. Il s’est tout de même
récusé par rapport à la question constitutionnelle pour d’autres motifs, mais il a décidé d’entendre
l’autre partie de la demande.
[77] Il existe plusieurs décisions soutenant le principe que l’impartialité ne signifie pas que le
décideur doit « faire abstraction de toute l’expérience de la vie à laquelle il doit peut-être son
aptitude à arbitrer les litiges [...] la véritable impartialité n’exige pas que le juge n’ait pas de
sympathies ou opinions. Elle exige que le juge soit libre d’accueillir et d’utiliser différents points
de vue en gardant un esprit ouvert » (
R c S (RD), au para 119).
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[78] En l’espèce, l’arbitre Dufort a été nommé pour son expérience en relations de travail et il
pourrait donc mettre à profit cette expérience professionnelle et choisir une offre finale selon les
exigences de la Loi spéciale. Le fait qu’il a représenté Postes Canada dans le passé ne lui enlève pas
la liberté d’accueillir et d’utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvert.
Implication au sein du Parti conservateur
[79] Le procureur général rejette le lien présenté par le Syndicat entre le fait que le Parti
conservateur soit à la tête d’un gouvernement majoritaire et le fait que le gouvernement serait
l’unique actionnaire de Postes Canada. Il faut faire la distinction entre un parti politique et l’État et
le Parti conservateur n’a pas d’intérêt direct ou indirect dans la décision de l’arbitre dans cette
affaire.
[80] De même, la jurisprudence est claire qu’une implication politique dans le passé
n’équivaut pas à la partialité
. Le procureur général cite l’affaire Fogal c Canada (1999), 164 FTR
99, 85 ACWS (3d) 1058 [
Fogal], dans laquelle le juge Dubé en réponse à une demande de
récusation du fait qu’il avait été ministre dans le cabinet de Jean Chrétien 25 ans auparavant et
qu’il serait donc favorable quant à la position du gouvernement, affirme au paragraphe 10:
[L]es juges ne procèdent pas du ciel. Ils proviennent de différentes
sphères d'activité…La diversité des carrières personnelles de leurs
membres constitue, pour les tribunaux, une source précieuse de
connaissance et d'expérience. Quand nous avons prêté notre serment
d'office, nous nous sommes coupés de notre passé et nous sommes
consacrés à notre nouvelle vocation. Notre devoir est de rendre
justice sans crainte et sans favoritisme.
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[81] Selon le procureur général, les informations retrouvées sur la page Facebook de l’arbitre ne
démontrent pas que l’arbitre Dufort ne s’est pas abstenu de toute activité susceptible de donner une
impression qu’il était activement engagé en politique.
[82] De plus, l’arbitre a des « amis » Facebook de toutes les allégeances politiques. La personne
raisonnable ne croirait pas que ces « amis » sont susceptibles de susciter une crainte raisonnable de
partialité. Étant donné que le Parti conservateur n’est pas partie au litige, il n’y a pas de motif
sérieux pour que l’arbitre se récuse. Le fait que l’arbitre ait récemment enlevé ces liens sur sa page
Facebook n’indique pas qu’il ne jouit pas de l’indépendance et de l’impartialité nécessaire à sa
charge.
VII. ANALYSE
Introduction
[83] L’analyse de la crainte de partialité repose essentiellement sur les faits en fonction du
contexte propre à chaque dossier. Plus particulièrement vrai en l’espèce, le contexte de l’arbitrage
des offres finales tisse une toile de fond sur laquelle la cour appuiera son analyse.
[84] Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit du contexte des relations de travail, un domaine
polarisé, dans lequel l’arbitre à titre unique, devra choisir l’offre finale d’une des parties, sans
compromis. De plus, cette décision sera protégée par une clause privative absolue.
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[85] Comme le rappelait si justement mon collègue le juge Martineau « l’arbitrage d’offres
finales débouche sur l’unilatéralisme législatif et le poids des responsabilités pour l’arbitre est donc
énorme : il s’agit d’un exercice de haute voltige, sans doute plus politique, car c’est de la légitimité
dont on parle ici et non de la légalité » (
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, au para
39).
A) Rôle en tant que procureur pour Postes Canada
1.
Écoulement du temps
[86] La personne renseignée est au courant que l’écoulement du temps est un facteur « important
[qui] se détache nettement des autres » (
Wewaykum, au para 85). Je suis d’accord avec la prétention
du Syndicat que le délai de neuf ans doit être examiné dans la perspective de la « continuité » du
dossier d’équité salariale qui s’est terminé par la décision de la Cour suprême du Canada en 2011.
[87] En effet, la preuve démontre que ce dossier a eu un impact sur les revenus de la Société. Le
Rapport du troisième trimestre de 2011 de Postes Canada indique qu’une des principales raisons
pour les pertes financières, les premières pertes de la Société depuis 16 ans, est le dossier d’équité
salariale. Bien que les pertes financières soient non récurrentes, une personne raisonnable et sensée
ayant étudié la question de façon sérieuse peut craindre que ce fait contemporain puisse influencer
l’arbitre dans son analyse.
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[88] Ainsi, malgré la période de neuf ans depuis que s’est terminée la participation active de Me
Dufort au dossier d’équité salariale, je retiens qu’il n’y a pas la distance temporelle de l’écoulement
du temps permettant d’atténuer l’incidence et l’importance de sa participation.
2. Rôle du décideur dans le précédent dossier
[89] Le délai de neuf ans doit également, à mon avis, être analysé à la lumière de l’importance du
mandat qui a duré environ cinq ans. Quoi que nous n’avons pas de détails exacts sur le travail de
l’arbitre Dufort, la personne raisonnable ayant étudié la question en connaissant la réalité des
cabinets juridiques est justifiée de croire que comme membre d’une équipe de quatre
, il a joué un
rôle important dans l’administration de la preuve devant le Tribunal ainsi qu’à l’élaboration de la
stratégie de litige avec sa cliente, Postes Canada. Il ne faut pas oublier l’envergure de ce litige, soit
414 jours d’audience et vraisemblablement un nombre comparable de jours de préparation. La
personne raisonnable et renseignée peut croire que l’arbitre ait tissé des liens avec divers membres
de la gestion de Postes Canada lors de ce mandat et pourrait craindre que ces liens influencent
l’arbitre, même à son insu.
3. Similitudes dans les deux dossiers
[90] En l’espèce, il est vrai que l’arbitre ne traitera pas du même dossier. Dans le dossier d’équité
salariale, il s’agissait d’une procédure devant le Tribunal traitant uniquement de la disparité de
salaires entre hommes et femmes. Dans le présent dossier, il s’agit d’un arbitrage des offres finales
durant lequel l’arbitre devra choisir une des offres laquelle couvrira une multitude de sujets.
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Cependant, une personne ayant étudié la question sérieusement notera que ces deux dossiers
concernent la relation entre les employés et la gestion chez Postes Canada. L’arbitre était procureur
pour Postes Canada dans un litige comparable reposant sur une preuve d’experts
, essentiellement
mandatés par les parties pour examiner plusieurs conventions collectives liant Postes Canada,
évaluer les emplois et prendre en considération, pour établir la rémunération, des ajustements de
salaire et certains avantages accordés à des employés.
[91] D’ailleurs, les témoins du Syndicat ont bien exprimé que dans l’actuelle ronde de
négociations, Postes Canada veut établir des conditions de travail différentes selon notamment la
date d’embauche car ces distinctions se retrouvaient dans toutes les offres globales qui ont été mises
de l’avant par l’employeur.
[92] En résumé, une personne bien renseignée constaterait que l’arbitre Dufort a agi pour Postes
Canada dans un dossier d’envergure et de longue durée comparable à celui qui lui est confié, ce qui
peut laisser craindre que, consciemment ou inconsciemment, il pourrait favoriser la position de
Postes Canada.
B. Implication politique
[93] Les multiples rôles et activités de l’arbitre Dufort au sein du Parti conservateur appuient la
prétention du demandeur d’une crainte raisonnable de partialité : le bref délai de deux ans depuis
que l’arbitre affirme avoir cessé toute activité et le fait qu’il maintient toujours des intérêts ainsi que
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des liens avec des gens importants de ce Parti sont des éléments suffisants pour rencontrer le fardeau
de preuve qui lui incombe.
[94] À ce chapitre, le Syndicat a soumis la page Facebook de l’arbitre Dufort où la section
« activités et intérêts », renvoyait, en date du 22 avril 2012, à deux associations conservatrices, soit
l’Association conservatrice de Westmount Ville-Marie et la page de la députée conservatrice
Rempel de Calgary Center-North.
[95] Selon les admissions faites devant l’arbitre le 30 avril 2012 et selon les pages Facebook de
l’Association et de la députée, il est clair qu’elles ont été respectivement créées en juillet 2010 et en
novembre 2010. Ainsi, l’arbitre a donc nécessairement fait le choix d’incorporer les liens renvoyant
à ces pages après qu’elles ont été créées, soit bien après le moment où il indique avoir mis fin à ses
activités politiques.
[96] De plus, la consultation de la page Facebook de l’arbitre, en date du 22 avril, était explicite :
l’arbitre ayant comme « amis » Facebook l’honorable Lisa Raitt, la ministre qui en vertu de la loi,
procède à la nomination de l’arbitre des offres finales, et l’honorable Steven Fletcher, ministre
responsable de Postes Canada. Encore une fois, l’arbitre a donc choisi de maintenir des liens avec
ces personnes.
[97] La personne bien renseignée constate également qu’après le prononcé du jugement sur
l’ordonnance de sursis du juge Lemieux, l’arbitre a jugé utile de retirer de sa liste d’amis les deux
ministres. Bien que dans ses motifs de décision, il énumère la liste d’« amis » d’autres allégeances
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politiques, il est troublant de constater qu’il choisisse de retirer de sa liste uniquement le nom des
deux ministres conservateurs et qu’il n’a pas jugé bon d’expliquer ces liens qui contredisent les
propos de l’arbitre Dufort dans sa décision du 17 avril, 2012 que « dès janvier 2010, le soussigné a
mis fin à toutes activités ou associations politiques ».
[98] De même, lorsque le Syndicat a soulevé ses inquiétudes eu égard au rôle qu’il a joué sur le
comité national des politiques concernant le droit de grève, l’arbitre Dufort se retranche sur
l’absence de preuve du Syndicat dont les témoins avaient affirmé ignorer son rôle exact au comité
national. Pourtant, compte tenu de la preuve soumise de sa participation au comité des politiques
ainsi que la preuve de ses associations avec le Parti conservateur (au-delà du délai de deux ans où il
avait affirmé avoir cessé toute activité), l’arbitre Dufort se devait de répondre à ces inquiétudes afin
de rassurer le Syndicat à ce sujet. C’est précisément ce qu’avait fait le juge Mosley dans l’affaire
Khawaja
, où il a expliqué de façon précise son implication dans l’élaboration du projet de loi
concerné. Le juge Teitelbaum a également divulgué des détails concernant ses relations avec
certains individus à la base de l’allégation de la crainte raisonnable de partialité (
Nation et Bande
indienne Samson
, aux paras 15-16, 67).
[99] Les défendeurs soutiennent que cette preuve est insuffisante et qu’une personne raisonnable
et bien informée n’aurait aucune crainte raisonnable de partialité du fait que le demandeur ait été
impliqué activement avec le Parti conservateur ainsi que ses contacts présumés avec les ministres
conservateurs. Le principe d’impartialité ne signifie pas que le décideur fasse « abstraction de toute
l’expérience de la vie à laquelle il doit peut-être son aptitude à arbitrer les litiges » (
R c S (RD), au
para 119). D’ailleurs, dans l’affaire
Fogal, le demandeur a demandé au juge de se récuser du fait
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qu’il avait été ministre dans le cabinet de Jean Chrétien 25 ans auparavant et qu’il serait donc
favorable quant à la position du gouvernement. Le juge a refusé de se récuser. Je note au départ que
dans l’affaire
Fogal, le délai était de 25 ans. L’écoulement du temps faisant en sorte qu’une
personne raisonnable et sensée ne pouvait trouver qu’il existait une crainte raisonnable de partialité.
[100] Avec respect, force m’est de constater que la jurisprudence citée par les défendeurs sur les
tribunaux qui ont étudié les allégations de crainte de partialité, eu égard à l’implication politique
d’un décideur, a une valeur limitée de précédent puisque dans ces affaires, les délais étaient si longs
qu’il était évident que l’écoulement du temps constituait l’élément le plus important. Ce n’est pas le
cas en l’espèce puisqu’il ne s’est écoulé qu’une période de 2 ans depuis la fin des activités
partisanes et que l’arbitre Dufort a, de toute évidence, gardé des intérêts et des liens avec des
membres du Parti conservateur et du gouvernement en place. La personne bien renseignée et non
tatillonne peut croire qu’il peut être influencé par ces personnes, même à son insu.
[101] De plus, pour les défendeurs, il n’est pas important que le gouvernement soit l’actionnaire
majoritaire de Postes Canada. Une personne bien renseignée est en mesure de distinguer entre un
député ou un ministre du Parti conservateur comme entité politique et le gouvernement comme tel.
Je ne suis pas d’accord avec cette prétention.
[102] Comme l’a rappelé à l’audience le procureur du demandeur, il convient d’étudier la
Loi sur
la Société canadienne des postes
, qui prévoit qu’en vertu de l’article 6, les administrateurs du
conseil d’administration sont nommés à titre amovible par le ministre, avec l’approbation du
gouverneur en conseil, pour des mandats respectifs de quatre ans au maximum. Le président du
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conseil est nommé par le gouverneur en conseil à titre amovible pour le mandat qu’il estime
indiqué, selon l’article 7. Finalement, en vertu de l’article 8, le président de Postes Canada est
nommé par le gouverneur en conseil à titre amovible pour le mandat qu’il estime indiqué
. De plus,
en vertu de l’article 22 de cette loi, Postes Canada doit se conformer aux instructions du ministre.
[103] Il y a donc un rapprochement étroit entre Postes Canada et le gouvernement, qui est un
gouvernement conservateur majoritaire. La personne bien renseignée étudiant la question de façon
sérieuse peut penser que consciemment ou inconsciemment, l’arbitre nommé, ayant récemment été
impliqué de façon active au sein du Parti conservateur, aurait un préjugé favorable pour la position
de Postes Canada, lequel est tenu de suivre les instructions du ministre et dont l’unique actionnaire
est le gouvernement.
CONCLUSION
[104] Les défendeurs ont tenté de faire du Syndicat la personne « tatillonne et scrupuleuse » qui a
manqué de diligence puisqu’au départ, le nom de Me Dufort avait été inclus par le Syndicat sur la
base d’informations obtenues de leur conseiller juridique et qu’il était fort inusité qu’une personne
demande la récusation d’un décideur alors qu’il a lui-même suggéré sa nomination.
[105] Je comprends la frustration des défendeurs puisqu’il s’agit d’un dossier d’importance
capitale pour toutes les parties concernées et que tout retard dans la nomination d’un arbitre
implique un délai dans le règlement de ce conflit qui a déjà connu plusieurs revers.
Page:
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[106] Il n’en demeure pas moins que la preuve soumise et non contredite est à l’effet que la
candidature de Me Dufort est devenue inacceptable pour le Syndicat au moment où les faits
concernant son implication à titre de procureur de Postes Canada ainsi que sa participation active au
sein du Parti conservateur, furent connus.
[107] Me Dufort lui-même a considéré que ces informations étaient suffisamment importantes
pour être divulguées au Syndicat et en inviter les commentaires si cela posait un problème. C’est
d’ailleurs la même déclaration qu’il faisait au Toronto Star en date du 15 mars 2012. Quel est le but
d’un tel exercice si ce n’est que d’ouvrir la porte à une demande de récusation?
[108] Si le Syndicat avait été la personne tatillonne, il n’aurait pas accepté, comme il l’a fait, un
avocat qui, dans sa première vie, avait représenté la partie patronale. Mais de là à confier une
mission aussi cruciale que l’arbitrage des offres finales à Me Dufort eu égard aux renseignements
que celui-ci a jugé opportun de communiquer après sa nomination, il y a un pas que le Syndicat
n’est pas prêt de franchir, compte tenu du contexte particulier du présent litige.
[109] Je suis d’avis que l’effet combiné des éléments de preuve soumis en l’espèce lui donne
raison.
[110] En résumé, je crois qu’une personne raisonnable et sensée ayant étudié la question en
profondeur peut craindre raisonnablement qu’un arbitre qui a non seulement été le procureur de
Postes Canada pendant de nombreuses années dans un dossier comparable entraînant en 2011 des
pertes financières importantes pour Postes Canada, mais qui, de surcroît participait jusqu’à
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récemment à diverses activités partisanes et conservait des liens avec les ministres concernés, puisse
servir les intérêts d’une partie ou du gouvernement, et ce, même à son insu.
[111] Je comprend
s la situation délicate dans laquelle se trouvait l’arbitre Dufort. Il est évident
qu’une demande de récusation faite à son égard soit difficile à trancher étant donné les deux rôles de
juge et partie qu’un décideur doit jouer; cette décision doit néanmoins toujours être guidée par le fait
que « ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé,
mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte » (
Wewaykum, au para 57).
[112] La Cour note avec approbation les propos de Fernand Morin dans son ouvrage
Lettre à un
arbitre
, repris par le juge Wagner dans l’affaire Syndicat des cols bleus, au para 124 :
Il demeure toujours difficile, et même délicat, de voir clair en sa
propre cause alors que l’arbitre doit, en pareille occasion, être à la
fois juge et partie. Ne lui faut-il pas apprécier sa propre situation? À
notre avis, dès que nous pouvons croire qu’il est possible qu’un tel
doute puisse raisonnablement subsister dans l’esprit d’une partie,
l’arbitre devrait quitter, et ce, dans l’intérêt des deux parties d’abord,
et celui de la justice.
[113] Bref, comme le rappelait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt
Syndicat canadien de la
fonction publique
au para 109 :
[…]Si l'arbitre est l'agent de l'une ou l'autre partie ou du
gouvernement ou s'il est perçu comme tel, ou encore s'il est désigné
pour servir les intérêts de l'une ou l'autre partie ou du gouvernement,
le système s'aliène la confiance des parties qui est essentielle à la
paix et à la stabilité des relations du travail [...] L'absence de
confiance dans l'arbitrage entraînerait des conflits de travail et
l'interruption des services, lesquels représentent le problème même
que l'arbitrage impartial des différends vise à prévenir.
Page:
36
[114] Dans le contexte extraordinaire d’un arbitrage d’offres finales en vertu de la Loi spéciale, il
est d’autant plus important d’appliquer ces principes, afin de préserver la confiance dans l’arbitrage
et « d’éviter la création d’un climat de relations de travail pourri pour les années à venir » (
Syndicat
des travailleurs et travailleuses des postes,
au para 40).
[115] Pour ces motifs, la Cour est d’avis que l’arbitre Dufort doit être récusé.
Page:
37
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. Les décisions de l’arbitre Guy Dufort refusant de se récuser rendues les 17 avril 2012
et 30 avril 2012 sont annulées.
3. L’arbitre Guy Dufort est récusé.
4. La ministre devra procéder à la nomination d’un nouvel arbitre des offres finales
dans le cadre du différend entre le Syndicat et Postes Canada.
Le tout avec dépens.
« Danièle Tremblay-Lamer »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
T-831-12
INTITULÉ :
SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET
TRAVAILLEUSES DES POSTES
c
SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, LE
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE :
Montréal, Québec
DATE DE L’AUDIENCE :
25 juillet 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
LA JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS :
8 août 2012
COMPARUTIONS :
Me Claude Leblanc
Me Gilles Grenier
Me Bernard Philion
POUR LE DEMANDEUR
Me Lukasz Granosik POUR LE DÉFENDEUR
Société Canadienne des Postes
Me Paul Deschênes,
Me Nadine Perron
POUR LE DÉFENDEUR
Le Procureur Général du Canada
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Philion Leblanc Beaudry, avocats, s.a.
Québec (Québec)
POUR LE DEMANDEUR
Norton Rose Canada
Montréal (Québec)
POUR LE DÉFENDEUR
Société Canadienne des Postes
Myles J. Kirvan,
Sous-procureur général du Canada
Ministère de la Justice Canada
Montréal (Québec)
POUR LE DÉFENDEUR
Le Procureur Général du Canada